ديوان ابن شرف

Ce qu’on appelle le « désastre de Kairouan » (son saccage par les tribus hilaliennes) a marqué la vie de Ibn Šaraf ainsi que sa poésie, au point que Ibn Bassām Aššantarīnī (m. 542/1147) a dit de lui : « Tout comme Al-Qastallī, il ne cesse de se plaindre des épreuves de la vie et d’évoquer les dissensions ». Ibn Šaraf a exprimé sa nostalgie de Kairouan dans un grand nombre des poèmes qui nous sont parvenus. Il y décrit dans le détail la dévastation de Kairouan , le dépérissement de sa population et les épreuves auxquelles sa propre famille a dû faire face lorsqu’elle a été forcée de la quitter et de voyager par voie de terre et de mer.

La poésie de Ibn Šaraf a une dimension émancipatoire et une aspiration à la nouveauté qui nous rappelle Abū Nawās. C’est ainsi qu’il renie les thèmes chers aux poètes anciens : pleurer le campement déserté, apostropher le corbeau-de-la-séparation. En guise d’ouverture à un poème panégyrique qu’il a envoyé à Al-Muʿtaḍid ibnʿAbbād, Prince de Séville, il dit :

De même, il appelle à la consommation du vin et à ne pas s’en cacher.

Singulièrement, Ibn Šaraf la prédilection exclusive pour tout ce qui est ancien :

Il a défendu ce point de vue et cité les deux vers précédents dans son traité intitulé Questions de critique littéraire.

Autre singularité, on découvre qu’après avoir contrasté les modes de gouvernance héréditaire et consultatif (chūrá), il déclare sa préférence pour la choura, la considérant comme une « tradition omarienne » (relative à Umar Ibn al-H̱attāb, compagnon du prophète et calife). Voici ce qu’il dit dans un panégyrique de al-Muʿizz Ibn Bādīs, qui venait de nommer Abū Bakr Ahmad ibn Abī Zayd cadi de Kairouan suite au décès de son prédécesseur Ibn Hišām.

A l’instar de nombreux poètes de son époque, Ibn Šaraf était féru de description. Comme Ibn Rachīq, il a décrit la girafe et la banane ; il a également décrit le concombre, le calame, l’espion et la plante appelée karkar (pyrèthre) ainsi que « l’enclume servant à catir les étoffes et ses marteaux ». On lui doit aussi des devinettes en vers relatives à des objets comme le miroir, la corde à linge et le fil à plomb.

Le recueil de sa poésie a été perdu. Ne nous sont parvenus de lui que quelque six cents vers. Le premier à avoir rassemblé quelques éléments de sa poésie a été Ḥassan ḤusnīʿAbdelwahāb dans l’introduction au livre Masāʾil alʾintiqād(Questions de critique littéraire). Ce fut ensuite le tour de Ḥasan Ḏikrī Ḥasan de collationner ses poèmes et de les publier au Caire, Librairie des Facultés d’al-Azhar, 1983.

Il convient de signaler que les locaux abritant actuellement l’Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis (Université de Tunis Al Manar) abritaient anciennement le Lycée Ibn Šaraf.